Projet minier de Simandou : Faut-il craindre un blocage ?

La Guinée veut avoir son mot à dire dans le développement de l'immense gisement de fer de Simandou, situé dans la préfecture de Beyla, à environ 1000 km au Sud-Est de Conakry.

Alors que les attentes sont énormes, une nouvelle crise semble se profiler à l’horizon dans la gestion de l'exploitation du minerai de fer de Simandou. En recevant le 17 juin 2022, les acteurs de ce projet au Palais Mohammed V, le Président de la transition a mis en garde les partenaires et a exigé le respect de l’accord.

Trois mois après la signature de l’accord-cadre tripartite du projet Simandou, les lignes n’ont toujours pas bougé dans la réalisation de ce gigantesque projet minier en Guinée.

Pour rappel, ce projet a deux volets divisés en deux compartiments. Les acteurs des Blocs 1 et 2 qui sont constitués de Winning Consortium Simandou et les acteurs des Blocs 3 et 4 qui sont Rio Tinto et ses partenaires de Chinalco.

Face aux investisseurs de ce projet minier, le Colonel Mamadi Doumbouya affiche une fermeté vis-à-vis du retard dans la mise en place du projet. Déplorant le décalage entre les engagements pris par les partenaires et les réalisations sur le terrain dans le cadre de l’exécution de l’accord, Colonel Mamadi DOUMBOUYA n’a pas caché sa déception en déclarant : ‘’ Cette situation est non seulement regrettable, mais surtout inacceptable pour l’Etat’’.

Aussi, après avoir souligné les nombreuses attentes notamment en termes de retombées économiques autour de ce projet, le Chef de l’Etat guinéen a fait mention de toutes les dispositions prises telles que le recrutement d’un cabinet d’Avocats pour qu’à l’échéance 2024, les résultats escomptés soient au rendez-vous. Il a ensuite lancé un ultimatum de 14 jours aux partenaires afin de présenter à la Guinée le projet de co-développement, entièrement aligné sur les termes de l’accord-cadre qui avait été signé au mois de mars dernier.

Vers un bras de fer entre la Guinée et ses partenaires

Lors de la rencontre avec les investisseurs, le Colonel Doumbouya n'a pas caché sa colère face au retard accusé pour la réalisation du projet.  Devant les partenaires, il a été clair : « on ne peut pas continuer à bloquer ce projet ».

Et pourtant, une source indique que « le projet Simandou pourrait être bloqué par le manque de sérénité et de compétence des acteurs de l’Etat. ». Cette source soutient que si « la Guinée s’attaquait aux conventions minières qui sont déjà établies, ça serait un problème parce qu’on pourrait attraper des procès en arbitrage et cela pourrait nous coûter très cher étant donné que Winning Consortium Simandou, Rio Tinto et Chinalco ne sont pas des investisseurs à la mauvaise réputation comme BSGR par exemple ».

Dans un courrier adressé aux partenaires du projet, le Directeur du Cabinet de la présidence a informé que la Guinée a rejeté catégoriquement tous les documents du projet présentés par les investisseurs et impose qu’il y ait un respect rigoureux des termes de l’accord-cadre sur la mutualisation des infrastructures, et elle fixe le budget de la société qui va être mise en place. En plus, la Guinée menace de prendre toutes ses responsabilités si toutefois les entreprises ne sont pas en mesure de respecter les termes de l’accord qu’elles ont signé volontairement. En tout cas c’est un bras de fer qui se pointe à l’horizon si jamais les deux parties ne reviennent pas à des bons sentiments avant le 30 juin prochain, date butoir de l’ultimatum lancé par le Chef de l’Etat guinéen.

Que dit l’accord-cadre signé en mars dernier ?

Après la suspension des activités sur le Simandou le 10 mars 2022, l’Etat guinéen a conclu un accord cadre avec les compagnies minières en vue de l’exploitation du gisement de fer de Simandou. Cet accord jugé plus favorable pour la Guinée a une durée de vie de 35 ans. Le nouvel accord signé le 25 mars 2022 octroi à l'Etat guinéen une participation non-contributives de 15% dans les infrastructures minières, ferroviaires, et portuaires. Contrairement aux conventions initiales, le nouvel accord signé permet à la Guinée d'être propriétaire des infrastructures dès leur mise en place.

Par ailleurs, les infrastructures ferroviaires serviront multi-utilisateurs et multiservices. En d'autres termes, d'autres acteurs pourront utiliser ces infrastructures pour transporter, en plus du minerai de fer, des produits agricoles, des personnes et d'autres biens.


 Cet accord donne à la Guinée un calendrier d’exécution très précis des projets avec des contraintes de pénalités majeures allant jusqu’au retrait pur et simple du titre minier pour la société minière qui ne respecterait pas ses engagements. Selon ce calendrier, la construction des infrastructures ferroviaires et portuaires doit être achevée à la fin de 2024, tandis que la première production commerciale du minerai de fer doit commencer durant le premier trimestre de 2025.

Un accent particulier est mis sur la qualité des infrastructures, le respect strict des normes environnementales, sociales, d’hygiène, de santé et de gouvernance pour les travailleurs ainsi que pour les communautés impactées. Le contenu local est mis en avant conformément aux dispositions du code minier guinéen.

Qu’est ce qui a prévalu à la conclusion de cet accord minier ?

L'exploitation est entravée depuis des années par des litiges sur les droits miniers, des soupçons de corruption et l'importances des investissements à réaliser dans une région enclavée et un pays cruellement dépourvu d'infrastructures.

Les blocs 3 et 4 de Simandou sont détenus par l'anglo-australien Rio Tinto, le chinois Chinalco et, dans une moindre mesure, l'Etat guinéen. Ils sont toujours à la phase exploratoire. Les blocs 1 et 2 ont été attribués en 2019 à la Société minière de Boké (SMB), consortium formé par l’armateur singapourien Winning Shipping, le producteur chinois d’aluminium Shandong Weiqiao, le groupe Yantaï Port ainsi que la société guinéenne de transport et de logistique United Mining Supply (UMS).

Les militaires arrivés au pouvoir par la force en 2021 s'étaient empressés de rassurer les investisseurs que les accords signés par l'Etat guinéen seraient respectés.

Le chef du gouvernement, Mohamed Béavogui, installé par les militaires a tout de même tenté d’apporter une explication à la suspension des activités minières tout en précisant, qu'en arrêtant les activités sur le Simandou il s'agissait seulement de faire une "petite pause" et qu'il n'était pas question de renégocier les accords. "Ce n'est pas une renégociation, c'est juste une réorganisation de la façon de travailler", a-t-il souligné à l’époque. Ajoutant que : "La Guinée ne veut pas revoir les contrats, ni les conventions, la Guinée souhaite un co-développement réel de ce projet", a précisé le Chef du gouvernement guinéen. "Il s'agit du plus grand projet minier des 30 prochaines années dans le monde. Ce projet ne peut pas se faire sans la Guinée", avait-il rappelé. Il n'a pas détaillé ce que réclament précisément les autorités. "Nous voulons simplement faire une petite pause, s'entendre sur un certain nombre de choses", a-t-il déclaré.

De son côté, le porte-parole du gouvernement, Ousmane Gaoual Diallo, a abondé dans le même sens tout en indiquant qu’il n’y a pas eu de progrès alors qu’il avait été demandé aux partenaires de mettre en œuvre l’exploitation du gisement de Simandou en tenant compte des intérêts de la Guinée. Il souligne que face à la situation, le colonel Doumbouya a ordonné ‘’la cessation de toute activité sur le terrain en attendant les réponses aux questions posées aux divers acteurs et la clarification du mode opératoire dans lequel les intérêts de la Guinée seront préservés’’.

Ressources minières, un véritable levier du développement

La Guinée détient plus d’un quart des réserves mondiales de bauxite et a de grandes quantités de réserves de minerai de fer de haute qualité avec, pour la plupart, une teneur supérieure à 60%. Ces gisements sont largement inexploités et représentent ainsi une opportunité majeure pour les sociétés minières.

Parallèlement à l’objectif d’accroissement significatif de la production de bauxite, le pays met actuellement en œuvre, avec ses partenaires industriels, techniques et financiers, une stratégie de transformation du minerai en Guinée.

 Avec un potentiel de plus de 4 milliards de tonnes de gisements de fer, Simandou représente incontestablement une rampe de lancement du décollage économique du pays. Il reste à voir si l'Etat et ses partenaires parviendront à trouver un terrain d’entente et aller à l’essentiel.

A ce jour, la Guinée exporte jusqu'à 87 millions de tonnes de bauxite par an, ce qui lui rapporte environ 500 millions de dollars, selon les chiffres de l'ITIE. Une véritable opportunité pour le développement socio-économique du pays.

Alpha Ibrahima Barry

Laisser un commentaire